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La manif du 9 mars

  • Hank
  • 13 mars 2016
  • 5 min de lecture

Amélioré par la Moustache

Le mercredi 9 mars, le Slipsaleblog a fait une entrée fracassante dans le monde de la lutte sociale. Sans banderole, sans drapeau, sans slogan, mais pas sans conviction, Vermot, Von Strauss, Spitzgartner, la Moustache et moi-même avons défilé de République jusqu’à Nation (enfin presque).

On avait fière allure dans nos hoodies bon marché, nos jeans délavés et nos chaussures déglinguées. On battait le pavé avec la certitude qu’on allait contribuer au renouveau de la société. Une question s’est assez vite posée : on allait défiler sous quel drapeau ? Sous les couleurs de quelle organisation ? Von Strauss nous a invités à nous glisser dans le cortège de la CNT. Il nous a appris, de par son expérience de militant bohémien, qu’on se marre bien mieux avec eux : « les anars, c’est picole et joint, et ça finit souvent en affrontement avec les keufs » dit-il goguenard. T’dis que politiquement, on est des rigolos. T’as pas tout à faire tort.

On rejette le discours des dominants, leur storytelling bullshit, leurs leçons de morale hypocrites. Je leur jette pas la pierre, ils défendent leur bout de gras, leurs privilèges, leur pouvoir. Ils sont prisonniers du système, de leur image et de leur narcissisme d’élite. Au fond on ferait peut être pareil si on avait été élevé dans la haute et pas par une famille de prolo. Mais bon, notre empathie, elle a des limites, quand on invite tout le monde à la précarité pendant que d’autres se gavent grassement – on se dit bon, ok, ça suffit – ça devient indécent, trop voyant, immoral même. Perso, ça me dérange pas que tu aies plus de thunes que moi, mais viens pas toquer à ma porte en me proposant un modèle de société toujours plus chiche pour que tu gonfles encore tes revenus. « C’est le jeu cynique de la mondialisation », que tu me rétorques. « Si c’est comme ça je vais produire ailleurs », que tu t’indignes. Mais je t’en prie. Casse-toi polluer et détruire l’environnement social et économique des autres. Si la mondialisation exige d’être cynique et inhumain, t’en prive pas. Mais viens pas pleurer quand y’aura plus personne pour acheter tes produits de merde, assemblés dans la misère, sans aucun respect pour l’environnement. Alors on se demande, peut-on réformer le capitalisme (Thomas Piketty) ou faut-il tout casser (Frédéric Lordon) ? Au Slipsaleblog, on est divisé. On tergiverse. On sait pas trop. On est pas économiste.

On lit des livres, on regarde des vidéos youtube, on lit même des journaux, on se tient informé quoi. Et qu’est-ce qu’on constate ? Qu’on peut plus rester sans rien faire. Même si on n’est pas sûr de l’utilité et de l’orientation de notre engagement, participer à ce bordel ambiant, ça peut pas faire de mal.

On était donc sous les drapeaux du CNT. Une vague odeur d’herbe flottait dans l’air, c’était pas désagréable. Je me suis pris quelques banderoles anarchistes dans la gueule. Ils se ressemblent tous les anars avec leurs têtes de déterrés, leurs piercing et leurs fringues vert délavé. Le capitalisme, c’est vraiment pas bon pour eux. Faut vite qu’ils se co-gèrent sinon ils vont pas vivre vieux.

À un moment, un petit groupe de cinq personnes tout en noir, encagoulées, est passé à côté de nous. Ce petit commando s’est arrêté devant la façade d’une banque pour gribouiller avec leurs bombes de peinture des slogans illisibles. J’ai trouvé ça cool, mais vain. Au fond, notre marche, elle allait pas faire vaciller le système. On s’amusait plus qu’on militait.

Pas loin de Nation, on en a eu soudain plein le cul de marcher. L’ambiance était un peu retombée. On avait soif, on a fini dans un bar à siffler des demis.

On a reparlé de cette foutue réforme du code du travail. On était là pour ça finalement. Nos politiciens, ils sont en kiffe devant le modèle anglo-saxon et allemand. Chômage à 5%, ça fout la trique à Hollande. Le problème, c’est ce qu’il y a derrière ces chiffres et, je te le donne en mille, c’est de la précarité. Les Anglais et les Allemands, ils préfèrent des travailleurs pauvres plutôt que des chômeurs. Je te résume la politique économique allemande depuis Gerhard Schröder, ça va te faire bander : austérité généralisée, baisse des salaires, généralisation des mini-emplois, coupes budgétaires dans les services publiques, baisses des allocations chômage et des cotisations sociales, etc. Ce qui implique qu’une bonne partie de ces non-chômeurs vivent avec des contrats précaires et des temps partiels subis, cumulant parfois deux boulots pour survivre. Le système, il a l’air de bien fonctionner mais on y gagne quoi, nous, de bosser pour des cacahuètes ? Excuse- moi mais tu me fais pas rêver avec le mode de vie que tu me proposes. Nos chômeurs, ils sont mieux lotis que leurs travailleurs précaires ! En Allemagne, depuis 2012, la pauvreté, elle a explosé dans toutes les couches de la société ! Les écarts de richesse ont jamais été aussi importants. Nos politicards, c’est ça qu’ils veulent te vendre ! On nous donne également en modèle la flexi-sécurité danoise. C’est bien beau mais elle est où la sécurité dans la réforme du code du travail ? J’oubliais, les chômeurs c’est des feignasses, faudrait pas trop leur donner de thunes pendant leurs périodes d’inactivité à ces assistés. Faut pouvoir les virer quand on a plus de boulot à leur proposer, après ils se démerdent pour joindre les deux bouts. Tu l’as compris lecteur, la flexibilité on te la colle bien profond dans le cul. La logique économique prévaut sur la logique humaine.

On avait une petite crainte quand même d’afficher nos opinions comme ça en pleine rue pendant l’état d’urgence. On nous a tellement pris en photo pendant notre promenade que j’pense que toute l’équipe est fichée par les RG. Je vois déjà la mention « militant anarchiste » au-dessus de ma photo punaisée sur un tableau en liège. Ouais parce qu’en plus de vouloir nous mettre dans la précarité, ils veulent également nous supprimer des libertés élémentaires. Je te parle pas des écolos assignés à résidence pendant la COP21 et d’autres dérives que peuvent occasionner ce genre de mesures d’exception.

Après les attentats, ils ont fait dans leurs frocs. On était en guerre qu’ils arrêtaient pas de gueuler. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont ! Aux armes citoyens ! Qu’un sang impur abreuve tes sillons ! Au début, on était bien content d’être épié par l’État. Marc Trévidic, un juge d’instruction un peu hype, il nous a pourtant prévenus, qui nous protège de l’Etat ? Ils sont où les garde-fous ?

La tentation totalitaire, elle est pas bien loin j’te le dis.

Pourquoi je te raconte tout ça ? Je pourrais te parler de libertinage, c’est quand même plus fun. J’en reparle bientôt d’ailleurs. Plus sérieusement, pour s’marrer déjà. On fait dans le militantisme inoffensif et blagueur. Pour la prochaine manifestation, on aimerait bien que tu viennes nous rejoindre pour marcher dans la bonne humeur et la rigolade et faire partager ton point de vue d’ignare et le confronter à notre propre ignorance.

Et puis, n’ais pas peur de manifester pendant l’état d’urgence l’ami, nous on s’en tape.

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