Une évolution dans le paysage
- La Moustache
- 29 févr. 2016
- 3 min de lecture
Le paysage est un genre artistique qui possède une longue tradition.
S’il devient un genre autonome au 17e siècle, avant cela, il ne faisait office que de décor et était relégué à l’arrière-plan des peintures religieuses. C’est au début du 15e siècle, avec l’avènement de la Renaissance, que les peintres italiens ont commencé à s’y intéresser, cherchant un cadre naturel où placer leurs personnages. Mais il faut attendre le début du 17e siècle pour que le genre s’autonomise, à l’initiative des peintres du nord de l’Europe qui s’intéressent au paysage naturel et sensible, miroir de la nature. Toutefois, le paysage reste un genre mineur jusqu’à l’époque romantique. Dans la hiérarchie des genres picturaux établie par l’Académie royale de Peinture et de Sculpture vers 1660, il n’occupe que la quatrième et avant-dernière place, juste avant la nature morte. Il faut ensuite attendre la seconde moitié du 19e siècle, pour que le paysage prenne son essor comme genre artistique reconnu, avec les expérimentations successives de l’École de Barbizon et des Impressionnistes.
Au 20e siècle, le paysage continue de se développer et de toucher tous les médiums (dessin, peinture, photographie), jusqu’à devenir le matériau même des artistes américains du Land Art, dans les années 1960. À l’orée du 21e siècle, c’est surtout dans la photographie que le genre se renouvelle et se modernise. Suivant ce mouvement, une nouvelle tendance a vu le jour dans les années 2000 : le « Nutscaping ». Contraction de « nuts » (noix) et de « landscape » (paysage), le nutscaping est un sous-genre du paysage (comme l’ont été autrefois les paysages topographiques ou les marines) qui a récemment affolé le web. La technique est simple et consiste à prendre en photographie un paysage tout en laissant se balader une couille devant l’objectif.
L’inventeur de cette tendance s’appelle Clancy Philbrick et a même fondé un groupe (et un tumblr : http://nutscapes.tumblr.com/). À l’occasion de nombreux interviews, il a expliqué sa découverte comme issue d’un « immense besoin de [se] sentir connecter plus intensément avec Mère Nature », lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande. Les médias ont rapidement relayé l’information et les photographies de nutscaping ont vite envahi le web. Un récent article décrit même la marche à suivre :
Trouvez un endroit incroyable ;
Tourner le dos à cette scène incroyable ;
Baissez votre pantalon ;
Penchez-vous en avant et prenez votre Nutscape à travers vos jambes.
Le tumblr du groupe met en exergue un slogan puissant, qui qualifie le genre de « selfies for real men ». Le nutscaping cristallise en effet la rencontre entre le paysage et l’autoportrait. Cette tendance constitue une alternative au selfie traditionnel, en vogue depuis une quinzaine d’années et qui tend déjà à s’essoufler. Reproduisant un élément définitoire de l’homme, du masculin, celui qui symbolise sa virilité, ici mis en scène dans un décor naturel, le nutscaping constitue en définitive une forme d’autoportrait « paradoxal » ou « oblique » (théorisé par Philippe Lejeune, spécialiste de la question), la couille pendante sur la photographie agissant comme une synecdoque. Si nous nous contentons d’esquisser ici un début d’analyse théorique du nutscaping, il serait nécessaire, pour mener à bien une étude exhaustive et enrichir cette première définition générique, de dresser une typologie de couilles sur un échantillon suffisant de photographies. Quoiqu’il en soit, nous pouvons déjà discerner dans le nutscaping une modernisation radicale du paysage.
Toutefois, genre masculin par excellence, le nutscaping témoigne d’une énième tentative de domination de la nature par l’homme. Genre masculin mais surtout machiste, dans lequel le mâle érige son viril attribut tel un trophée et exclu, par définition, la femme. Le nutscaping est emblématique du sexisme ambiant qui règne depuis toujours dans le monde de l’art – il est inutile de rappeler la faible proportion d’artistes femmes reconnues dans l’histoire et jusqu’à aujourd’hui. Finalement, ce genre constitue un nouveau symbole de la phallocratie que forme le milieu artistique. La création de son pendant féminin – un boobscaping ou un nipplescaping – permettrait de ramener un équilibre, mais ne comblerait pas le problème qui est à la base de cette lutte des genres : un art trop souvent identifié (authentifié ?) par le sexe de son créateur.
Renouvellement d’un genre artistique ou simples photographies de couilles, à vous de décider. La Moustache et le SSB (blog phallocrate par excellence) vous encourage à partager vos couilles en balade !

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